“Sosthène Baran
Nolwenn Brod
Emma Lucy Linford”
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« Tout ce que nous appelons “forme”, c’est-à-dire la culture, la civilisation, la politesse, la morale, est une tentative de figer ce qui est fluide, de donner une forme à l’immature. »
- Witold Gombrovitcz, Ferdydurke, 1937
L’une des grandes contradictions de notre humanité réside dans notre manière d’aborder l’apprentissage de la vie, à travers l’éducation, le conformité aux lois, aux coutumes ou la compréhension des codes sociaux. Autant de cadres qui prétendent nous amener vers la maturité. Mais cette maturité, si valorisée, n’est-elle pas parfois une forme d’enfermement ?
L’écrivain polonais Witold Gombrovicz (1904-1969), dont s’inspire particulièrement Nolwenn Brod dans son oeuvre, voit dans l’immaturité - qui désigne par définition l’état de quelque chose ou quelqu’un qui n’a pas encore atteint son développement - non pas un défaut, mais un élan vital, un état de mouvement, un champs de possible et de liberté créatrice. L’auteur dénonce justement la culture et l’éducation comme une forme, un ensemble de rôles et de conventions imposées par la société qui nous enferment dans un état statique, fini. Au contraire, la beauté de l’immaturité réside dans l’expérience brute et pure de la vie. Dans l’immaturité, tout est malléable, tout peut encore se faire et devenir. Contre la rigidité des rôles sociaux et des identités figées, Gombrowicz appelle à une désobéissance à la maturité, une régression volontaire vers le mouvant, le maladroit, le fragile. L’immaturité devient alors un acte de résistance, une manière d’exister en dehors des cadres, dans la tension entre ce que l’on est et ce que l’on pourrait encore devenir.
Dans notre société contemporaine, cette tension est exacerbée. Nous sommes sommé·es par l’école, la société, l’éducation à devenir « adultes », responsables, rationnel·les, tout en étant constamment à la recherche, toujours insatisfaite, d’une jeunesse éternelle du corps et de l’esprit. La spontanéité, la fragilité, la naïveté sont pardonnées lorsqu’on est « jeune », et rapidement disqualifiées par l’âge qui avance. Comme le rappelle Gombrovicz : « En un sens, l’homme se veut parfait ; il se veut Dieu. En l’autre il se veut jeune, il se veut imparfait ! »*.
Les œuvres de Sosthène Baran, ces objets-tableaux aux inspirations à la fois surréalistes et ludiques, explorent le monde merveilleux de Pinocchio et ses symboles, et résonnent particulièrement avec cette dialectique. Le pantin de bois, figure d’apprentissage et de transformation, incarne ce parcours semé d’obstacles : l’erreur, le mensonge, la maladresse qu’il faut dépasser pour arriver à acquérir une forme de maturité. Ce récit de formation, oscillant entre l’enfantin et l’initiatique, interroge ce moment où l’on devient conscient·e, expérimenté·e au pris de la perte de l’innocence.
Depuis 2018, la photographe Nolwenn Brod suit les traces de Witold Gombrovicz, de la Pologne le pays natal de l’écrivain (où Nolwenn Brod découvre son œuvre Cosmos) à l’Argentine, où il immigre juste avant la seconde guerre mondiale. De ce voyage est née la série «Le Temps de l’Immaturité» qui donne le titre à notre exposition, et dont la publication éponyme vient de paraître aux Editions lamaindonne. Dans ses images, Nolwenn Brod saisit l’instant, partant en quête du détail, elle capture les moments de bascule, les micro-histoires. Ses corps photographiés transpirent d’intériorité, ils dévoilent ce mouvement intime, qui cherche à se former, à se dire, s’ouvrir vers l’extérieur de soi. Dans son travail, comme dans les écrits de Gombrovicz, l’intérieur se manifeste à la surface. La forme devient l’expression de ce qui échappe à toute immobilité. Accentués par des tons sombres et chaud - bordeaux, rouges, orangés - la douceur, la douleur, la violence et le plaisir s’entremmêlent pour donner montrer une image presque tactile de la sensualité et du désir.Une profonde intimité émane de ce travail.
Cette dualité entre intérieur et extérieur trouve également écho dans l’œuvre méticuleuse d’Emma Lucy Linford. Ses sculptures au crochet, corps déconstruits et reconstruits, tissent une enveloppe précieuse. Fragile par sa matière, cette seconde peau, comme un vêtement, symbolise pour l’artiste une protection absolue contre le monde extérieur. L’artiste offre une interprétation délicate et poétique de l’ambivalence entre notre manière de nous présenter au monde, notre forme sociale, et ce que nous dissimulons et chérissons en notre for intérieur.
Il ne s’agit pas ici d’une célébration naïve de l’enfance ou de l’irresponsabilité, mais plutôt d’une réflexion sur une manière de rester toujours ouvert·e au monde. Peut-être est-ce une invitation des artistes à se reconnecter à la part plus fragile, naïve de soi, à envisager l’apprentissage comme un état indéfiniment en construction, évoluant sans cesse. Ces trois artistes nous offrent une exploration de cet espace fragile entre la forme contenue et ce qui la déborde : un geste timide, interrompu, un corps en tension, une larme, un état en transformation. L’immaturité devient ainsi un positionnement critique, une manière de résister aux formes closes de la société, du corps, de l’identité, et de redonner à l’art la liberté de continuer à se réinventer, en perpétuel devenir.
Jeudi 20.11.2025, de 18h à 20h - Vernissage
Mercredi 10.12.2025, à 18h - Visite guidée de l’exposition en partenariat avec la Société des Amis des Arts
Jeudi 18.12.2025, à 18h - Table ronde en compagnie de l’artiste Nolwenn Brod et de la directrice du Photo Elysée Nathalie Herschdorfer
Pour télécharger le dossier de presse : ici
*Witold Gombrovicz, Ferdydurke, 1937.
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‘Everything we call “form”, that is to say, culture, civilisation, politeness, morality, is an attempt to freeze what is fluid, to give form to the immature.’
- Witold Gombrowicz, Ferdydurke, 1937
One of the great contradictions of our humanity lies in the way we approach learning about life, through education, conformity to laws and customs, and understanding social codes. These are all frameworks that claim to lead us to maturity. But isn't this maturity, so highly valued, sometimes a form of confinement?
The Polish writer Witold Gombrovicz (1904-1969), who particularly inspired Nolwenn Brod in her work, sees immaturity – which by definition refers to the state of something or someone that has not yet reached its full development – not as a flaw, but as a vital impulse, a state of movement, a field of possibility and creative freedom. The author rightly denounces culture and education as a form, a set of roles and conventions imposed by society that lock us into a static, finite state. On the contrary, the beauty of immaturity lies in the raw and pure experience of life. In immaturity, everything is malleable, everything can still be done and become. Against the rigidity of social roles and fixed identities, Gombrowicz calls for disobedience to maturity, a voluntary regression towards the moving, the clumsy, the fragile. Immaturity then becomes an act of resistance, a way of existing outside the box, in the tension between what we are and what we could still become.
In our contemporary society, this tension is exacerbated. We are urged by school, society and education to become ‘adults’ who are responsible and rational, while constantly searching, always unsatisfied, for eternal youth of body and mind. Spontaneity, fragility and naivety are forgiven when one is ‘young’, but quickly disqualified as one grows older. As Gombrovicz reminds us: ‘In one sense, man wants to be perfect; he wants to be God. In another, he wants to be young, he wants to be imperfect!’*.
Sosthène Baran's works, objects-paintings inspired by both surrealism and playfulness, explore the wonderful world of Pinocchio and its symbols, and resonate particularly with this dialectic. The wooden puppet, a figure of learning and transformation, embodies this obstacle-strewn journey: the mistakes, lies and clumsiness that must be overcome in order to achieve a form of maturity. This coming-of-age story, oscillating between the childish and the initiatory, questions that moment when we become conscious and experienced at the cost of losing our innocence.
Since 2018, photographer Nolwenn Brod has been following in the footsteps of Witold Gombrovicz, from the writer's native Poland (where Nolwenn Brod discovered his work Cosmos) to Argentina, where he emigrated just before the Second World War. This journey gave rise to the series ‘Le Temps de l'Immaturité’ (The Time of Immaturity), which provides the title for our exhibition and whose eponymous publication has just been released by Editions Lamaindonne. In her images, Nolwenn Brod captures the moment, searching for detail, capturing moments of change, micro-stories. Her photographed bodies exude interiority, revealing an intimate movement that seeks to take shape, to express itself, to open up to the outside world. In her work, as in Gombrovicz's writings, the interior manifests itself on the surface. Form becomes the expression of that which escapes immobility. Accentuated by dark, warm tones – burgundy, red, orange – softness, pain, violence and pleasure intertwine to create an almost tactile image of sensuality and desire. A profound intimacy emanates from this work.
This duality between interior and exterior is also echoed in the meticulous work of Emma Lucy Linford. Her crocheted sculptures, deconstructed and reconstructed bodies, weave a precious envelope. Fragile in its materiality, this second skin, like a garment, symbolises for the artist absolute protection from the outside world. The artist offers a delicate and poetic interpretation of the ambivalence between how we present ourselves to the world, our social form, and what we hide and cherish within ourselves.
This is not a naive celebration of childhood or irresponsibility, but rather a reflection on how to remain open to the world. Perhaps it is an invitation from the artists to reconnect with the more fragile, naive part of ourselves, to view learning as an indefinitely ongoing process, constantly evolving. These three artists offer us an exploration of the fragile space between contained form and that which overflows it: a timid, interrupted gesture, a body in tension, a tear, a state of transformation. Immaturity thus becomes a critical position, a way of resisting the closed forms of society, the body, and identity, and of giving art back the freedom to continue to reinvent itself, in perpetual becoming.
Thursday, November 20, 2025, 6-8pm - Opening
Wednesday, December 10, 2025, 6pm - Guided tour of the exhibition in partnership with the Société des Amis des Arts
Thursday, December 18, 2025, 6pm - Round table with the artist Nolwenn Brod and the director of Photo Elysée Nathalie Herschdorfer
To download the press kit : here
*Witold Gombrovicz, Ferdydurke, 1937.
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