Galerie C
Neuchâtel
Paris
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Léopold Rabus 18.09-01.11.25

A travers l’étendue d’un Aldi brumeux, se tenait une radieuse substance malmenée

Léopold Rabus
avec Romain Buffetrille
 
 

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Gregor Samsa, transformé en insecte, contemple sa chambre et les objets qui l’entourent :

Sur la table, il y avait encore la collection d’échantillons de tissus qu’il avait rapportée de son dernier voyage – ils étaient étalés, bien rangés, avec les cartes commerciales. En les voyant, il pensa que, tant qu’il resterait couché là, il ne pourrait pas se lever pour les ranger, et cette pensée lui parut bien plus pénible que son corps énorme et informe.

Son regard se porta ensuite sur le mur, où était accrochée l’image découpée dans un journal et encadrée dans un cadre doré. Elle représentait une dame coiffée d’un grand chapeau de fourrure et enveloppée d’une écharpe, qui tendait au spectateur un manchon immense, dans lequel tout son avant-bras avait disparu. Gregor se cramponna à cette image, et ses pattes se posèrent sur le verre.

- Kafka, La Métamorphose, 1915

Fantasmer le monde, s’en souvenir, le regarder autrement : c’est ce que propose Léopold Rabus dans ses récents travaux. L’artiste invente des chimères, rapièce, zoome, dézoome, observe la réalité de travers et sens dessus-dessous. Il déroute le public en quête de sens et dans les lieux connus, il met du désordre. Les moments de commémoration deviennent des champs de trouvailles, une grande fête de choses et d’objets dégoulinants, sautillants en fête. Rabus déstabilise nos repères : l’imaginaire se glisse dans des formes apparemment familières, tandis que le quotidien se déforme en figures étranges.

Par ce patchwork d’images, le peintre déploie les techniques. Sa touche varie, à la fois précise et léchée lorsqu’il se focalise sur un détail, il fait virevolter le pinceau, léger, laissant place à une matière plus dense, plus abstraite dans ses derniers travaux. L’ingéniosité de Rabus se perçoit alors dans ce jeu des matières, la peinture devient collage, les sens se reversent, la réalité vacille et l’on ne sait plus très bien où s’arrête la figuration et où commence le rêve.

Avec humour et cynisme, Rabus bouscule les codes, il renverse la hiérarchie des sujets. Dans ce désordre visuel, chaque élément reprend une force symbolique, comme si l’absurde cachait une vérité plus aiguë que la réalité elle-même. Rabus dialogue avec l’héritage du surréalisme, il détourne l’usage des objets et fait du quotidien un théâtre de paradoxes. Mais là où les maîtres de l’absurde s’arrêtaient au jeu du sens et du langage, il pousse l’expérience plus loin. Il s’attache aux lieux, aux objets, aux situations sur lesquelles on ne s’attarde habituellement pas, ni en peinture, ni dans la vie. Toillettes, excréments, poils, restes intimes : ces fragments de vie triviale, que l’on ne montre pas, deviennent sous son pinceau des motifs à part entière. En ramenant ces marges au centre de l’image, il élargit encore le champ pictural et ouvre l’art au grotesque le plus cru.

Le banal, l’incongru et le tabou se tranforment alors pour lui en matière à poésie. Rabus redonne place à ce que l’on délaisse, aux restes de vie : poules transformées en morceaux de viande, saucisses industrielles renvoyées à leur origine animale, morceaux de chair recomposés en figures hybrides qui semblent danser dans une ivresse déséquilibrée. Le ridicule touche au sublime, et l’ordinaire se révèle inquiétant, excessif, drôle… Rien n’a vraiment de sens, ou peut-être trop, au contraire.

À ses côtés, Romain Buffetrille développe une pratique où la matière picturale devient un terrain d’exploration du sacré et de l’organique. Il inscrit son oeuvre dans l’héritage de la peinture d’icônes, du symbolisme et de l’expressionnisme. Ses recherches mettent en tension le caractère insaisissable du vivant et la tendance humaine à y projeter sens et symboles. Ses œuvres, nourries de références aux images sacrées et aux visions apocalyptiques, interrogent la fin des cycles, la chute des formes de vie et la place de l’esprit face aux bouleversements contemporains.

L’approche des deux artistes se révèle alors complémentaire : l’un détourne le réel pour en faire surgir l’absurde, tandis que l’autre condense symboles et formes pour y faire émerger une transcendance du sens.

L’œuvre de Rabus apparaît ainsi comme une plongée dans la part refoulée du quotidien : ses toiles deviennent des miroirs déformants, où le grotesque se teinte de sacré. Comme Kafka révélant l’étrangeté des objets les plus banals à travers le corps monstrueux de Gregor Samsa, Rabus nous rappelle que l’absurde n’est pas ailleurs mais au cœur même de la réalité, prêt à surgir dès que l’on ose renverser le regard.



Jeudi
18.09.2025, de 18h à 20h - Vernissage
Mercredi 22.10.2025, à 18h - Visite guidée de l’exposition en partenariat avec la Société des Amis des Arts

Pour télécharger le dossier de presse : ici


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Gregor Samsa, transformed into an insect, contemplates his room and the objects around him:

Sur la table, il y avait encore la collection d’échantillons de tissus qu’il avait rapportée de son dernier voyage – ils étaient étalés, bien rangés, avec les cartes commerciales. En les voyant, il pensa que, tant qu’il resterait couché là, il ne pourrait pas se lever pour les ranger, et cette pensée lui parut bien plus pénible que son corps énorme et informe.

Son regard se porta ensuite sur le mur, où était accrochée l’image découpée dans un journal et encadrée dans un cadre doré. Elle représentait une dame coiffée d’un grand chapeau de fourrure et enveloppée d’une écharpe, qui tendait au spectateur un manchon immense, dans lequel tout son avant-bras avait disparu. Gregor se cramponna à cette image, et ses pattes se posèrent sur le verre.

- Kafka, La Métamorphose, 1915

Fantasising about the world, remembering it, looking at it differently: this is what Léopold Rabus offers in his recent works. The artist invents chimeras, patches things together, zooms in and out, observes reality sideways and upside down. He confuses audiences in search of meaning and creates disorder in familiar places. Moments of commemoration become fields of discovery, a great celebration of dripping, jumping objects. Rabus destabilises our bearings: the imaginary slips into seemingly familiar forms, while everyday life is distorted into strange figures.

Through this patchwork of images, the painter deploys his techniques. His touch varies, both precise and polished when he focuses on a detail, he twirls the brush lightly, giving way to a denser, more abstract material in his latest works. Rabus' ingenuity can be seen in this interplay of materials, where painting becomes collage, meanings are reversed, reality wavers and it is no longer clear where figuration ends and dreams begin.

With humour and cynicism, Rabus challenges conventions and overturns the hierarchy of subjects. In this visual chaos, each element takes on symbolic power, as if the absurd hides a truth more acute than reality itself. Rabus engages with the legacy of surrealism, diverting the use of objects and turning everyday life into a theatre of paradoxes. But where the masters of the absurd stopped at playing with meaning and language, he takes the experiment further. He focuses on places, objects and situations that we do not usually dwell on, either in painting or in life. Toilets, excrement, hair, intimate remains: these fragments of trivial life, which we do not show, become motifs in their own right under his brush. By bringing these margins back to the centre of the image, he further broadens the pictorial field and opens art up to the most raw grotesque.

The banal, the incongruous and the taboo are thus transformed into material for poetry. Rabus restores the place of what we neglect, the remnants of life: chickens transformed into pieces of meat, industrial sausages returned to their animal origins, pieces of flesh recomposed into hybrid figures that seem to dance in an unbalanced frenzy. The ridiculous borders on the sublime, and the ordinary reveals itself to be disturbing, excessive, funny... Nothing really makes sense, or perhaps too much, on the contrary.

Alongside him, Romain Buffetrille has developed a practice in which pictorial material becomes a field for exploring the sacred and the organic. His work is part of the heritage of icon painting, symbolism and expressionism. His research highlights the tension between the elusive nature of life and the human tendency to project meaning and symbols onto it. His works, nourished by references to sacred images and apocalyptic visions, question the end of cycles, the decline of life forms and the place of the spirit in the face of contemporary upheavals.

The two artists' approaches are complementary: one distorts reality to reveal the absurd, while the other condenses symbols and forms to bring out a transcendence of meaning.

Rabus' work thus appears as a plunge into the repressed part of everyday life: his canvases become distorting mirrors, where the grotesque takes on a sacred hue. Like Kafka revealing the strangeness of the most mundane objects through the monstrous body of Gregor Samsa, Rabus reminds us that the absurd is not elsewhere but at the very heart of reality, ready to emerge as soon as we dare to turn our gaze.

Thursday, September 18, 2025, 6-8pm - Opening
Wednesday, October 22, 2025, 6pm - Guided tour of the exhibition in partnership with the Société des Amis des Arts.

To download the press kit : here

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