Galerie C
Neuchâtel
Paris
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C'est certain, seul l'Amour sauvera le monde 17.09-31.10.20

Alain Huck, Sandrine Pelletier, Laurence Rasti, Zheng Bo

C’est certain, seul l’Amour sauvera le monde marque l’ouverture de la 9ème saison de la Galerie C Neuchâtel. À l’occasion de cette exposition collective, nous avons convié Alain Huck, Sandrine Pelletier, Zheng Bo et Laurence Rasti à effleurer la délicate et nécessaire question de l’amour. Imprévisible, l’amour est la chose la plus chargée de folie, la plus dangereuse. Il n’est jamais bénin et mobilise l’entièreté de notre être, à tel point que certain.e.s renoncent à s’y risquer. Mais que cédons-nous si on l’abandonne ?
L’intensité d’un tel flux peut conduire à la disparition de la sensation de notre propre corps. Plus encore, la secousse qui nous soumet à un état d’effarement, nous ramène à une expérience proche de la mort. Itinéraire infini, l’expression de l’amour est multiple toujours, tragique parfois, ou encore insurgée quelque fois. L’amour crée sa propre nécessité et l’imagination des artistes se saisit de cette dernière(1) pour façonner des territoires dans lesquels nous vous invitons à sombrer.

Dans les cas tragiques, les amants perdent pieds et la réalité perturbe à trop forte raison le sens de l’équilibre. Le récit d’une désunion évidente et d’un impossible retour à l’amour premier nourrit la despedida, la nouvelle série d’Alain Huck. Cette désunion se matérialise dans un roman intitulé «Under the volcano» de l’auteur anglais Malcolm Lowry. Par une nuit de célébration de la fête des morts au Mexique, un couple tente de donner un nouvel élan à son histoire marquée par un divorce. L’issue semble évidente et peu prospère à une résurrection du sentiment initial: les deux amants s’élancent dans un corps à corps mortel. Au cours d’une déambulation, ils marquent un arrêt devant la vitrine d’un imprimeur. L’image qui les arrête est celle d’un rocher à l’allure monumentale, brisé en deux. Sous l’image, un titre aux augures tempétueux: la despedida. Traduits en français - les adieux, la séparation - ces mots résonnent comme le crépuscule d’une histoire. Nourri par la violence de cet amour, Alain Huck s’empare de rochers qu’il rencontre et opère la fêlure par le dessin. Colosses indestructibles, le dessin les brise comme pour mieux témoigner de la dangereuse soumission auquel s’expose tout être en proie à l’amour. Si le caractère dramatique ne se revêt que dans le titre et le paysage demeure anonyme, il y est toujours question de mémoire. La nature broussailleuse et intrépide relève d’une intériorisation, entre autobiographie et impressions littéraires. Le travail d’Alain Huck est organique: une trame dense, à l’image de cette nature délaissée, s’établit. L’organicité est révélatrice de la pensée de l’artiste dont chaque dessin participe à tisser une cartographie. Ainsi, Devenir un, devenir deux révèle l’état d’altérité que l’amour impose : les corps sombrent dans une béatitude désespérée. Enfin, l’ensemble des Vivre à vendre questionne la «cohabitation difficile entre un monde à la fois calculé et envahi par les émotions».(2)

Le collage photographique réalisée par Sandrine Pelletier à l’occasion de l’exposition met en scène le minéral et le végétal. Des végétaux s’emparent du béton, du métal, de toutes constructions en dur: mur d’immeuble perforé, trouée dans le macadam, vestiges d’un enclos envahi etc. Stratégie de survie ou manière d’être au monde ? Le saxifrage est ce qui ne cesse de « se penser et d’agir dans la jonction ».(3) En botanique, saxifrage est le « qualificatif d’une plante qui pousse dans un interstice, la faille d’un rocher où les fissures d’un vieux mur, allant parfois jusqu’à faire éclater la pierre ».(4) Sandrine Pelletier aménage un paysage en métamorphose à l’intérieur duquel la végétation contourne, découvre l’interstice, s’y glisse et brise ce qui s’y oppose. Images capturées entre Beyrouth et Le Caire, elles s’établissent comme la métaphore d’un désir-feu sans pareil, d’une volonté d’exister. Tolstoï écrivait dans son journal en 1873, « L’Amour dérange »: explosif, il peut conduire au soulèvement et changer la direction du temps.(5) Cette expression de l’énergie brute se décèle parmi les chrysanthèmes qui parsèment les murs de la galerie en hommage à la population de Beyrouth. Frêles car en céramique, elles sont le témoin d’une passion sauvage et d’un amour indicible salvateurs au sortir d’une tragédie.

Zheng Bo investit l’un des espaces de la galerie avec trois travaux installatifs. La participation active des visiteurs.euses contribue à la création de l’oeuvre par l’interaction. Ces travaux récents marquent l’intérêt de l’artiste aux équivalences qui peuvent être tissées entre le végétal et le politique. Dans Ferns as method, chacun.e est invité.e à abandonner ce qui le relie à l’extérieur afin d’entrer en interaction avec le milieu qui l’entoure par le dessin. Chaque participant.e dessine l’une des fougères disposées dans l’espace et abandonne son esquisse une fois celle-ci terminée. En effet, à la fin de l’exposition, l’ensemble des dessins sera composté et utilisé à la fertilisation des plantes. C’est ce rapport au végétal que les oeuvres de la série Pteridophilia nous invitent également à penser et éprouver. Zheng Bo présente dans ses quatre vidéos la rencontre entre les plantes et des humains dans une forêt de Taïwan. L’un d’eux fait l’amour à une fougère et entame un rapport de sensualité qui se complexifie lorsque ensuite il la mange. L’habitude usuelle de manger des plantes est rendue délicate par l’acte tendre et sexuel initial. À la fin de l’oeuvre, des pratiques BDSM participent à l’enrichissement de cette sexualité inédite. Par une approche saisissante des relations entre écologie et sexualité humaine, l’artiste chinois remet en question les théories du mouvement éco-queer: en effet, il s’agit toujours d’une projection des besoins humains sur la nature, qui ne peut pas toujours s’opposer à ce qui lui est fait. Enfin, Survival Manual 3 est composée de dessins recopiés par l’artiste dans un ouvrage botanique intitulé « Biko somoku zu ». Ouvrage recensant une centaine de plantes comestibles, il est publié au Japon en 1833 suite à une série de famines à Edo. Mettant en évidence la nécessité que nous entretenons avec le végétal en temps de crise notamment, Zheng Bo s’est attelé à la copie totale de l’ouvrage à l’automne 2019. Le travail de l’artiste chinois s’élabore sous la forme d’un laboratoire de pensées auquel tous.tes sont convié.s à se connecter par le corps plutôt que par le langage. Nourri par la volonté d’étendre la forme que revêtent nos désirs, Zheng Bo participe à un renouvellement de notre compréhension d’autres modes de vie. Avec provocation, il invite à la dissolution de l’imaginaire collectif actuel pour laisser place à nos fantasmes, essentiels à l’élaboration d’autres façons d’être-au-monde.

C’est d’une promesse d’un amour libéré dont la série de Laurence Rasti témoigne. Suite à une phrase prononcée par le président iranien en 2007 aux États-Unis, « En Iran, nous n’avons pas d’homosexuels comme chez vous », l’artiste part à la rencontre de réfugiés homosexuels iraniens qui transitent à Denizli, en Turquie. Le seul dénouement possible à l’homosexualité en Iran, passible de peine de mort, est la fuite ou la transsexualité, pratique tolérée par la loi bien que considérée pathologique.

Le monde en tant que contagion perpétuelle (6) semble n’autoriser que le souffle de l’amour comme seul salut. « Le souffle est l’évidence du fait qu’être-au-monde est une expérience d’immersion. Respirer signifie être plongé dans un milieu qui nous pénètre au même titre et avec la même intensité que nous le pénétrons »(7). C’est de ces expériences du souffle et de la contagion dont il est question dans le travail des quatre artistes invité.e.s. Tous.tes nous invitent à vivre, expériencer, soit se faire traverser par toute chose, car sortir de soi, c’est toujours entrer dans quelque chose d’autres.(8) Laissons l’amour, pluie subtile, force ultime, baigner notre corps et nos âmes.

1 Etel Adnan, Le prix que nous ne voulons pas payer pour l’amour, Paris: Galerie Lelong, 2015, p.18.
2 Julie Enckell Julliard, Alain Huck - Les salons noirs, Zürich, Verlag Scheidegger & Spiess AG, 2015, p.21.
3 Guillaume Logé, «De la fleur à l’homme saxigrage», in Narcisse ou la floraison des mondes, Arles et Bordeaux: Actes Sud et FRAC Nouvelle-Aquitaine MéCA, 2019, p.34.
4 Ibid, p.30.
5 Etel Adnan, Ibid, p.16.
6 Emanuele Coccia, La vie des plantes - Une métaphysique du mélange, Paris:éditions Payot et Rivages, 2016, p.90
7 Ibid, p.73.
8 Ibid, p.91.

Jeudi 17.09.20, 18h-20h - Vernissage
Mercredi 30.09.20, 18h
- Visite guidée de l'exposition

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