Galerie C
Neuchâtel
Paris
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Fleuves sans rives 12.12.20-23.01.21

Jean-Christophe Norman

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« C’est une drôle de chose que la vie - ce mystérieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile. Le plus qu’on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même - qui vient trop tard - une moisson de regrets inextinguibles »

Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres

Dans la figure du fleuve s’inscrit l’idée d’un chemin, d’un écoulement, d’un passage d’amont en aval. Métaphore classique du cours de la vie, le fleuve s’est doté d’un lexique allégorique fait de méandres, de cours et de courants, de crues, de sources et de ressacs. Un lexique qui trouve écho dans le vocabulaire de bon nombre de nos grands récits.

En tant que métaphore, le fleuve nous aide à dire nos existences : nous offre des images pour parler des épreuves et des directions que nous empruntons. Il nous permet aussi d’apprendre à nous connaitre davantage. Ainsi parle Marlow dans le livre de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, lorsqu’il annonce que « Remonter le fleuve, c’était se reporter, pour ainsi dire, aux premiers âges du monde (…) si bien qu’on finissait par se croire ensorcelé, détaché désormais de tout ce qu’on avait connu autrefois, quelque part, bien loin, dans une autre existence peut-être ».

Ce voyage, dans son engagement physique et psychique inhérent à la descente ou à la remontée d’un fleuve, a aussi beaucoup à voir avec la création artistique et plus encore avec les œuvres de Jean-Christophe Norman. Ancien alpiniste, l’amont, et installé désormais à Marseille, l’aval, l’artiste mêle l’écriture à toutes ses pratiques artistiques (performance, peinture, recouvrement, etc.).

Dans ses marches, lors desquelles il réécrit des livres sur le sol des villes et des territoires qu’il parcoure, on trouve une correspondance à ces cours d’eau —à leur mouvement immuable — qui traversent plaines et vallons, villes et villages. Jouant des obstacles comme les méandres d’un fleuve se joue du relief, ces performances de réécriture ne s’imposent pas à leur environnement : elles existent, mais ne sautent pas aux yeux. Elles se dévoilent dans leur progression discrète par un ruisseau de phrases inscrites par l’artiste, le dos recourbé et la démarche empêchée, à la craie sur le sol.

Dans ses peintures les livres deviennent le support physique de l’œuvre. Ils prennent alors le titre de « bookscape » à l’instar des 84 pages peintes du livre de Joseph Conrad, exposées au sein de la galerie. D’autres créations, les « seascape », sont réalisées à partir de journaux glanés au fil de ses voyages : les quelques caractères imprimés qui persistent et la légèreté du papier de ces travaux sont les seuls indices de la nature première de leur support. Des paysages mentaux, introspectifs et oniriques, y apparaissent. Ils ne sont pas sans rappeler les cieux vaporeux de William Turner ou les vagues agitées d’Au- gust Strindberg et se font l’écrin des souvenirs rétiniens de Jean-Christophe Norman. Ces œuvres qu’il nous donne à voir, sont autant de moments à saisir présentés de la plus belle des manières : un livre ouvert.

Cependant, dans le récit initiatique véhiculé par une œuvre, tout n’est pas aussi limpide que dans un livre ouvert. Il faut puiser dans notre imaginaire, nous défaire du rapport frontal aux choses et particulièrement aux images afin de faire apparaître petit à petit le non visible. C’est de cela que joue la série des « Cover » de Jean-Christophe Norman. En recouvrant de graphite l’entièreté d’un livre, l’artiste provoque des apparitions et des disparitions, créés par la superposition du carbone et de l’encre d’impression, par la lumière mais aussi par le positionnement physique du regardeur.

Plastiquement épurées, les « Cover » apparaissent alors comme la synthèse parfaite de l’œuvre de l’artiste où l’engagement physique et psychique sont à pied d’égalité, où le non visible s’empare de notre rétine et où dans la plus grande discrétion l’imaginaire devient l’expérience.

« Fleuves sans rives » serait donc, au-delà de l’hommage à l’ouvrage de Hans Henny Jahnn, des mondes où notre imaginaire ne serait plus endigué par un réel trop nettement dessiné : il s’agirait de mondes éthérés où la rêverie et la liberté de se mouvoir iraient de pair, de cours d’existences aux limites floues et aux estuaires toujours plus vastes.

« On ne peut pas vivre le doigt perpétuellement sur son pouls. »

Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres

Samedi 12.12.20, 14h-20h - Vernissage

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« It's a funny thing about life - this mysterious arrangement of merciless logic for a futile purpose. The most one can hope for is some knowledge of oneself - which comes too late - a harvest of unquenchable regrets. »

Joseph Conrad, Heart of Darkness

In the figure of the river is inscribed the idea of a path, of a flow, of a passage from upstream to downstream. A classic metaphor for the course of life, the river has acquired an allegorical lexicon of meanders, courses and currents, floods, springs and backwashes. A lexicon that is echoed in the vocabulary of many of our great stories.

As a metaphor, the river helps us to tell our lives: it offers us images to talk about the trials and directions we take. It also allows us to get to know ourselves better. This is what Marlow says in Joseph Conrad's book, Heart of Darkness, when he announces that "to go up the river was to go back, so to speak, to the first ages of the world (...) so much so that one ended up believing oneself to be bewitched, detached from all that one had known in the past, somewhere, far away, in another existence perhaps".

This journey, in its physical and psychic engagement inherent to the descent or ascent of a river, also has a lot to do with artistic creation and even more with the works of Jean-Christophe Norman. A former mountaineer, upstream, and now living in Marseille, downstream, the artist mixes writing with all his artistic practices (performance, painting, covering, etc.).

In his walks, during which he rewrites books on the ground of the cities and territories he travels through, we find a correspondence to these rivers - to their immutable movement - which cross plains and valleys, cities and villages. Playing with obstacles as the meanders of a river play with the relief, these performances of rewriting do not impose themselves on their environment: they exist, but do not jump to the eyes. They are revealed in their discreet progression by a stream of sentences inscribed by the artist, with his back bent and his gait impeded, with chalk on the ground.

In his paintings, the books become the physical support of the work. They then take the title of "bookscape" like the 84 painted pages of Joseph Conrad's book, exhibited in the gallery. Other creations, the "seascapes", are made from newspapers gleaned from his travels: the few remaining printed characters and the lightness of the paper of these works are the only clues to the primary nature of their support. Mental landscapes, introspective and dreamlike, appear. They are reminiscent of William Turner's vaporous skies or Au- gust Strindberg's agitated waves and are the setting for Jean-Christophe Norman's retinal memories. These works that he gives us to see, are so many moments to seize presented in the most beautiful way: an open book.

However, in the initiatory story conveyed by a work, everything is not as clear as in an open book. It is necessary to draw from our imagination, to get rid of the frontal relationship to things and particularly to images in order to make appear little by little the non visible. This is what Jean-Christophe Norman's "Cover" series is all about. By covering the entirety of a book with graphite, the artist provokes appearances and disappearances, created by the superimposition of carbon and printing ink, by the light but also by the physical positioning of the viewer.

Plastically refined, the "Covers" appear as the perfect synthesis of the artist's work where the physical and psychic commitment are on equal footing, where the non-visible takes hold of our retina and where in the greatest discretion the imaginary becomes the experience.

"Rivers without banks" would be, beyond the homage to Hans Henny Jahnn's work, worlds where our imagination would no longer be blocked by a too clearly drawn reality: it would be ethereal worlds where daydreaming and freedom of movement would go hand in hand, courses of existence with blurred limits and ever wider estuaries.

« One can't live with one's finger everlastingly on one's pulse. »

Joseph Conrad, Heart of Darkness

Opening of the exhibition : Saturday 12th 2020, 2pm-8pm

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