Galerie C
Neuchâtel
Paris
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Paysage incertain 03.07 - 23.07.2025

Etel Adnan
Sosthène Baran
Christine Boumeester
Damien Cadio
Nicolas Darrot
Henry Glavin
Holly Mills
Jean-Christophe Norman
Édouard Taufenbach & Bastien Pourtout
Jesse Wallace
 



« Pour bien voir la terre, il faut la regarder d’un peu loin »

Italo Calvino, Le Baron perché, 1957

Contempler un paysage, c’est parfois faire face à l’avenir. Il y a dans les lignes de la nature quelque chose d’intimement lié à la projection qu’on a de soi-même et du monde. Et l’horizon n’y est-il pas pour quelque chose ? Cette ligne, graphique et ordonnatrice, compose le décor qui se dévoile sous nos yeux, conceptualise son ordre, symbolise ses couleurs et encourage nos pensées. Grace à elle, le paysage devient une mélodie rythmée, une étoffe tissée le long de son cours, un chemin, un pont -« die Brücke » -,vers un ailleurs qui dépasse le monde physique.

Le paysage c’est l’émergence de l’histoire : nous y projetons nos mythes, nos croyances, nos espoirs parfois même nos certitudes. Le paysage peut être multiple. Il peut être abordé de manière conventionnelle ou faire le choix de l’abstraction, sur le motif ou l’imaginaire. Il peut être évoqué, suggéré ou alors s’imposer à nous par sa forme ou ses tragiques actualités. Il a su devenir l’une des formes majeures de l’histoire contemporaine car à travers lui, c’est toujours de la trace de nos existences et de notre aventure au monde dont il est question. Le paysage peut tout accueillir : l’innommable, le tragique, le beau, le souvenir, ce qui aveugle, qui terrifie ou qui nous réjouit. Et c’est de ce réceptacle dont il est question dans cette exposition.
L’idée ici n’est pas de faire parler les œuvres à outrance, mais plutôt de garder une liberté sur leur interprétation ou sur un détail, afin qu’émerge une survivance de formes qui peut les lier les unes aux autres. 

Le point de départ fut la découverte d’une œuvre singulière, celle d’une artiste Christine Boumeester (1904-1971). L’artiste a souvent fait la part belle au paysage au travers de ses œuvres. Il s’agit là d’abstractions, de compositions surréalistes, de Saintes Victoires enflammées ; il s’agit là d’une écriture plastique qui nous emmène au-delà des mers, des forêts et des montagnes pour nous faire parcourir une forme de spiritualité si chère aux avant-gardes. Son ami Francis Picabia écrira d’ailleurs, en 1948, à son sujet : « Dans la peinture de Christine Boumeester beaucoup de secrets sortent de leur cachette pour être éclairés par son soleil. Je voudrais donner la vie éternelle à ses tableaux. Ce qui m’attire c’est le spectacle du rêve qui entoure ses toiles ; en quelques sortes elle est la femme spirituelle de la grande aventure de l’art ».

Penser ces œuvres comme une forme d’écriture a tout de suite induit un lien avec le travail d’une autre grande artiste du paysage et de la poésie : Etel Adnan (1925-2021). Au sein de l’exposition, ce n’est pas une peinture, plus coloriste, mais un dessin qui est montré. Par le dessin et la spontanéité que celui-ci offre, Etel Adnan écrit. Elle écrit un paysage d’arbustes (Bosquet II, 2018) dont les feuillages disparaissent pour laisser place au blanc de la feuille comme si tout cela se dessinait dans le ciel. Dans ce travail à la ligne, la forme, le cerne organisent la feuille, rythment la composition et comme dans un poème ou un chant fait apparaitre les arbres comme des protagonistes audibles. Les traits des branches deviennent subitement un alphabet qu’il nous reste à lire. Le motif de l’arbre, récurrent chez l’artiste, lui fera dire notamment : « Les arbres se meuvent autrement que nous : ils se renouvellent ».

Le paysage est aussi un lieu de mythes et de symboles. Les artistes s’en emparent souvent. C’est le cas dans la sculpture animée de Nicolas Darrot, Yuki Otoko (homme des neiges en japonais), qui représente un singe assis sur son nuage. Ce singe apparait comme une figure protectrice et espiègle des marcheurs des montagnes et les accompagne dans leur ascension. Ici le paysage est subtilement personnifié : le singe yuki Otoko est une allégorie de cette montagne. Perché sur son nuage, il est partie prenante du paysage. Les dessins de nuages de Nicolas Darrot ont quant à eu à voir avec l’observation du ciel, éléments mouvants d’un monde cartographié et localisé. Les nuages et le ciel prennent également corps dans les œuvres de Sosthène Baran et ses peintures objets de paysages surréalistes. Ici il ne s’agit pas tant de représenter un lieu précis qu’une idée du paysage un moyen de peindre, un espace pictural en soi.

Chez Damien Cadio, le paysage devient un espace pictural qui se joue de la nature du sujet : le paysage hollandais, représenté avec ce qu’il comporte de qualités atmosphériques est en fait l’image de ce même paysage mais observé dans les pages d’un catalogue. Le paysage devient ici le moyen de mettre la peinture en abime. Chez Holly Mills, le cheminement se borne de symbolisme. Dans les paysages et environnements que l’artiste créé sur de petits formats de papiers, des pages et des couvertures de livres, les symboles et les formes ricochent les unes aux autres. En répétant certaines formes, en traversant les compositions de lignes et les espaces imaginaires, nous voyageons avec elle à travers un paysage mental. Chez Jean-Christophe Norman, il est également question de paysages intérieurs dépeignant davantage des sensations que de véri­tables territoires. Ces paysages, où la ligne d’horizon devient un métronome, sont pour l’artiste un ailleurs à penser tandis que dans les œuvres de Henry Glavin, le paysage est urbain et chaque détail y trouve sa place. L’artiste compose des vues de villes comme une addition d’une multitude d’éléments. Et, à l’instar de peintres primitifs qui s’attachaient à représenter chaque feuille d’un arbre, chaque fissures de roches, dans la peinture d’Henry Glavin chaque brique, chaque vitre, chaque pierre a la même attention de traitement. Cela offre un paysage suspendu où la présence humaine disparait et où le rêve s’immisce. La présence humaine ou plutôt son passage dans le paysage, il en est question dans le travail de Jesse Wallace. Il s’agit d’images photographiques tirées en cyanotype, des œuvres entre installation, sculpture et photographie. Ses œuvres hybrides et rétro-éclairées sont changeantes, mouvantes. Elles sont des vues de lieux traversés par l’artiste lors de pérégrinations américaines, des lieux en transition, en travaux, en mutation. Elles relatent de la présence de l’homme dans ces environnements, comment il s’en accommode, s’y déplace ou s’y arrête. Parfois le paysage y est visible, majestueux, parfois il se devine en creux.

La photographie est également le médium choisit par le duo d’artiste Edouard Taufenbach et Bastien Pourtout, qui au travers de leur série de jardin, s’attache à raconter un espace -celui du jardin de Versailles ici- au travers de photographie dont certaines sont performées et où les artistes eux-mêmes prennent place dans le paysage. Le paysage devient soudainement sous les mains du jardinier et des artistes un décor maitrisé, mis en scène, orienté.

Dans le silence vibrant des œuvres, le paysage se déploie comme un souffle suspendu, une respiration entre le visible et l’invisible. Il ne se donne pas seulement à voir, il se laisse éprouver, habiter. Telle une énigme offerte au regard, il invite à la contemplation et à l’introspection, réconciliant le sensible et le spirituel. Car au-delà des formes, des lignes et des couleurs, c’est peut-être notre propre humanité que nous cherchons, discrètement inscrite dans le relief du monde. Même quand il est meurtri dans ses ruines, dans ses cendres, le paysage vit et c’est là sa plus grande résilience. Il reste, par nature, tourné vers l’avenir, mouvant et incertain.

Exposition du 03.07.2025 au 23.07.2025

Vernissage : jeudi 3 juillet 2025 à partir de 18h

Télécharger le dossier d’exposition : ici

Galerie C

6 rue Chapon

75003 Paris

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Exhibition from May 3rd to June 19th, 2025

Opening : Saturday, May 3rd, 2025 from 2pm

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