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Des théâtres du silence 05.11-19.12.20

Lukas Hoffmann, Polina Kanis, Léopold Rabus

Il suffirait d’ouvrir un champ à toutes les potentialités stockées dans l’inexistant. Il suffirait de laisser flotter l’inexistant. On s’apercevrait - je l’ai expérimenté - que ce qui n’a pas été vraiment fait, que ce qui n’a pas été vraiment dit, que tout ça agit.(1)

Dans ses Écrits, Claude Régy souligne l’importance de l’abandon de toutes formes de hiérarchies entre pensée, corps, objet, texte, voix au sein du théâtre. Invitation en quelque sorte à aller chercher dans le non-clair (2), dans le doute. Plonger dans un état d’incertitude en somme. Cette indétermination qui régit notre quotidien, aujourd’hui comme hier, nous l’expérimentons au sein de l’exposition « des théâtres du silence ». Réunir Lukas Hoffmann (Suisse, 1981), Léopold Rabus (Suisse, 1977) et Polina Kanis (Russie, 1985), trois artistes aux univers plastiques singuliers relevait d’une mise en danger.

C’est d’un tâtonnement que nous sommes parti.e.s, d’une sensation confuse mais tout de même instinctive, que nous avons décidé de nous imposer le silence pour mieux regarder. « Regarder c’est s’ouvrir », dit Georges Didi-Huberman: « cela prend chaque seconde, chaque parcelle d’énergie, chaque mouvement - motion ou émotion - du corps et de l’âme. Cela transforme tout. Cela fend notre temps, quand le langage le lie. Cela fend le langage même » (3). Fendre le langage: serait-ce là la jonction entre le travail des trois artistes convié.e.s ?

Dans « Toothless Resistance », Polina Kanis questionne la notion de résistance. Le son et l’image se côtoient mais semblent ne pas entretenir de rapports entre eux. Une voix hors-champs opère la description factuelle d’un environnement à la manière d’un scientifique qui récolte des données, avec minutie et sans emphase. Concomitant à la déclamation de la voix masculine, le regard mécanique de la caméra parcourt l’intérieur d’une pièce, lentement, s’attardant sur les détails. Dans la continuité des travaux précédents, la vidéaste russe fait appel à l’état de stase. Le non-événement et ce qu’il induit, la passivité en regard de l’action, révèlent les potentialités de ce qui n’est pas visible. Polina Kanis construit un non-récit subtil qui nous met en « défaut de langage ». C’est au coeur même du désoeuvrement, de la désorientation et du non-savoir, dans l’acceptation devant l’image de perdre les repères de nos propres mots (4) que réside une potentialité nouvelle.

L’abandon de nos repères est l’exercice auquel nous invite également Léopold Rabus. Chez l’artiste neuchâtelois, la peinture est un désir de mise en désordre. Depuis toujours, l’humain s’attèle à la classification du milieu qui l’entoure: tenter de le saisir dans son intégralité afin de pallier au vertige de l’immensité. Léopold Rabus assume l’expérience de ne rien garder de stable. Il tente de réajuster sa vision et sa pensée au sein d’une perception inédite, en dehors des seuils de compréhension usuels: « le propre du visible, disions-nous, est d’être superficie d’une profondeur inépuisable: c’est ce qui fait qu’il peut être ouvert à d’autres visions que la nôtre » (5) note Merleau-Ponty dans « Le visible et l’invisible ».

Dans un rejet similaire des intuitions données, Lukas Hoffmann photographie des espaces intermédiaires que nous ne parvenons qu’à cerner partiellement, nous plongeant dans une errance trouble. Le référent disparaît de plus en plus: la question n’est plus de l’ordre de la représentation, mais bien du voir dans l’image. L’attention aux formes et à la lumière prime sur la connaissance de l’objet photographié.

C’est ainsi qu’en poètes, Lukas Hoffmann, Polina Kanis et Léopold Rabus remuent l’ordonnancement, créent des dissonnances afin de faire entendre les possibles de l’inexistant. Nous vous convions à passer la porte d’un théâtre au sein duquel les règles non-écrites font foi, inexistantes, elles se dévoilent et se voilent telles des apparitions.

1 Claude Régy, Écrits (1991-2011), Besançon: Les Solitaires Intempestifs, 2016, p.258.
2 Ibid, p.252
3 Georges Didi-Huberman, Essayer voir, Paris: Les éditions de Minuit, 2014, pp.48-49.
4 Ibid,p.52.
5 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris: Gallimard, 1964, p.186.

Jeudi 05.11.20, 18h-20h - Ouverture sans vernissage
Mercredi 25.11.20, 18h
- Visite guidée de l'exposition


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